Original scientific paper
https://doi.org/10.31141/zrpfs.2019.56.131.13
État et justice
Daniel Chabanol
Abstract
L’administration de la justice est par sa nature même une mission d’Etat (CE section 27 février 2004, Popin, n° 217257 : « la justice est rendue de façon indivisible au nom de l’Etat »). Ce qu’exprime la rédaction des actes juridictionnels français officiels, qui tous sont prononcés « au nom du peuple français », et donc jamais au nom d’une région, ou d’une commune : la justice officielle ne saurait être décentralisée.
Avec elle nous abordons un pan de l’action d’Etat qui n’est pas réductible à une quelconque mécanique organisationnelle. Si les missions de défense, de sécurité, de maintien de l’ordre, de gestion monétaire, de santé publique peuvent, quelque délicates parfois qu’elles soient, se ramener à la mise en place de moyens adaptés aux fins poursuivies, la mission de justice ne saurait s’apprécier à l’aune des seuls moyens mis en œuvre. A dire le vrai, toutes les actions publiques sont soumises au jugement (et donc à l’objectif) de justice : la fiscalité, l’éducation, la santé, l’équipement du territoire, la dépense publique non affectée (correspondant par exemple à l’action de sécurité, ou de défense), sont évalués, entre autres, au regard d’une exigence de justice, laquelle n’est donc pas l’apanage du ministère de la justice. Mais, à l’inverse des autres départements ministériels, qui ont pour mission de « faire », de « fabriquer » (des recettes publiques, de la sécurité, de l’éducation, des routes, de la santé publique…), et qui placent plus ou moins de justice dans cette œuvre de fabrication, le ministère de la justice n’est pas responsable…de la justice dans le pays, mais d’une administration qui a pour seul objet de mettre fin aux conflits opposant soit les sujets de droit entre eux (différends civils), soit ces sujets à la puissance publique (différends pénaux ou administratifs). C’est là sa seule mission, mais elle est fondamentale : il faut à toute société organisée une instance qui décide du terme définitif des litiges, que ce soit par la manifestation supposée de la volonté divine (les ordalies) ou par le jeu de mécanismes qui peuvent être brutaux (les procès staliniens) ou sophistiqués (les sociétés démocratiques).
Si l’on veut bien se souvenir de ce que Hobbes nous a exposé quant à l’origine de l’Etat, dire ce qui est « le juste » est la mission de l’Etat, dont nous attendons qu’il mette en œuvre les moyens qui nous permettront de savoir « ce qui est juste », non point dans l’organisation générale de la société (qu’est-ce qu’une fiscalité juste ?) mais dans le règlement des litiges.
Keywords
Hrčak ID:
217585
URI
Publication date:
26.2.2019.
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